Sous la pierre de Lezennes


Départ pour l'exploration
Départ pour l'exploration

Il y a des jours qu’on ne manquerait pas, tant ils sont insolites. Grâce à Tiphaine Van Kelf, chargée de mission et de communication, à Seclin Mélantois Tourisme, nous avons pu vivre un de ces moments inédits. En effet, le « Comité de la Pierre de Lezennes » ainsi que « Le cercle de recherche historique Lezennois » et Monsieur Michel DUBOIS, enseignant chercheur à l'université de Lille, nous ont invité à découvrir les entrailles des carrières de Lezennes.

 

Rappelons ici que tout comme le charbon, la craie a son histoire. Durant l’ère crétacé, notre région, sous climat tropical, était formée de mer chaude et peu profonde. L’accumulation d’algue planctonique a généré, au fil du temps, une couche de craie résultant de sédimentation carbonatée et de minéraux argileux.

 

C’est pourquoi, sous la zone sud-sud-est de Lille, nous foulons sous nos pieds de façon insoupçonnée, un gruyère de 70 hectares de carrière de craie. Son exploitation a fait les « choux gras » ou « endives grasses » ou « champignons gras » des ecclésiastiques, propriétaires des terres avant 1789 et ensuite des grandes familles du nord dont la richesse contribuait aux extravagantes expositions universelles de l’ère industrielle.

L’exploitation de cette roche se faisait principalement dans des carrières de chambres filantes. Mode d’exploitation de la pierre de façon horizontale sous forme de vastes galeries toutes soutenues par des piliers non exploités. Sa pierre aussi appelée « blancs caillos » reconnaissable par son apparence blanchâtre, sert avant tout à urbaniser nos contrées dès le Haut Moyen Âge.

Précisons ici la construction de nombreux édifices historiques dont notre collégiale Saint-Piat à Seclin mais aussi celle de la citadelle de Lille qui a nécessité à elle seule une extraction journalière de 2000 blocs calibrés selon les ordres de Vauban. 

Un autre type d’exploitation, celui-ci verticale et circulaire, est apparu au XIXème. Aussi appelé « catiche », signifiant « terrier de loutre », il se présente sous la forme de bouteille, évasée à la base et étroite sur sa hauteur, menant vers un puits extérieur. Ce type d’exploitation concernait plutôt le nord de notre gruyère. 

Notre surprise fut grande de découvrir l’accès à cette carrière par le biais d’un escalier situé dans une maison Lezennoise de type 1930. Il ne fallait donc pas prendre une échelle comme le faisaient les ouvriers agricoles jusqu’en 1960 pour la culture de champignon ou de l’endive aussi appelée « Barbe de capucin ».

C’est par des marches en briques rouges, ajoutées lors de la seconde guerre mondiale par les lezennois pour se protéger des bombardements ennemis, que nous descendons sous une profondeur d’au moins 10 mètres. 

Passage par éclairage LED
Passage par éclairage LED

Le spectacle est lunaire. Des rubans de lumière led guident nos pas au fil des explications claires et limpides de Monsieur DUBOIS. Nous sommes sans voix face à cette masse grisâtre qui se consolide dès qu’elle entre en contact de l’air libre. Cette protection naturelle permet une conservation presque pérenne de la pierre. Ceci, bien entendu, à la condition de ne pas la confronter à la pollution, ni même de la nettoyer. Et oui, le débat reste entier entre les géologues et les conservateurs des monuments historiques.

 

Sous cette galerie, nous imaginions alors les ouvriers qui détachaient le bloc de pierre calibrée, porté à la force des bras vers le puits, hissé ensuite par un treuil pour être gerbé sur une charrette de transport. Nous réalisions la peine de ces hommes à travailler sous la misère du sous en salaire.

 

C’est la concurrence de la brique et ensuite du béton qui a eu raison de la pierre blanche. Les carrières ferment les unes après les autres. Elles vivent un sursaut très bref à la fin du XIXème pour son engrais phosphaté sur les terres agricoles, très vite oublié au profit de l’engrais chimique.

Stigmate sur la pierre
Stigmate sur la pierre

Alors, avant son interdiction de 1987 d’y circuler librement, bon nombre de loisirs prenaient place dans ces gorges profondes. Ça allait de promenades en amoureux, de courses ou même de salle de cinéma. Marquant çà et là les passages gravés d’inscriptions sur la pierre pour la postérité.

 

Même si tous les puits sont aujourd’hui bouchés, nous trouvons encore des brebis galeuses qui s’y promènent sans mesurer le danger que représentent ces galeries non éclairées. Rien que durant le dernier réveillon du nouvel an, un monsieur s’y est perdu alertant le groupe de gendarmes sinophile formé au sauvetage des « noyés de la terre ». L’histoire ne nous dit pas ce qu’il y faisait durant cette nuit de Saint-Sylvestre. Peut-être était-il motivé par la légende du trésor de 400 000 marks d’or des mercenaires de la Bataille de Bouvines encore enfui sous cette masse de pierre de Lezennes ?

 

Sophie CHICHE – Guide conférencière – Février 2024

 

NB : Pour en savoir plus sur les carrières de Lezennes, nous recommandons l’ouvrage :