La saga des Collette au XIXe siècle - 2e partie : Ceux d'Allennes-les-Marais

En 1847, à deux jours de Noël, au numéro 31 rue des Wetz à Seclin, Marie Pauline Castrique met au monde un enfant de sexe masculin. C'est le fils d’un notaire seclinois alors âgé de trente-sept ans, Xavier-Louis Désiré Collette. Ce conseiller général du Nord et notoirement maire de la ville, se verra décerner le titre de chevalier de la Légion d’Honneur en 1866. Le voilà père pour la troisième fois. Déjà en 1844, une fille prénommée Maria était venue au monde. Le bonheur pour son second, un fils, ne vivra que le temps des neuf mois du petit Paul. René Collette vient comme un remplaçant mais qui tiendra toute ses promesses. Comme le père, il cumulera les postes officiels allant de conseiller municipal à délégué sénatorial, en passant lui aussi par l’obtention du titre de chevalier de la Légion d'Honneur. Mais c’est par son activité professionnelle orientée comme ses oncles dans la distillerie qu’il reste dans la postérité industrielle locale. La fréquentation de ce milieu lui donnera les bases nécessaires pour se lancer avec succès dans cette carrière.

Croquis extrait "Concours régional de Lille", M. Boitel - 1870
Croquis extrait "Concours régional de Lille", M. Boitel - 1870

A vingt-trois ans, le voilà à la tête d’une distillerie raffinerie d’alcool dans la Flandres maritime aux Moères. Drôle d’endroit que ce bout de terre à la frontière franco-belge, non loin de la mer du Nord, où des réseaux de fossés appelés « watergang » sont comme des veines tentant d’assécher cette zone marécageuse1. Ce coin de terre et d’eau n’est alors peuplé que par 800 habitants ; les choses n’ont pas tellement changé depuis. Et c’est pourtant là que s’installe René Collette en 1870 ayant pour ambition "d'extraire des produits d'une valeur assez grande de matières premières qui resteraient sans emploi"2 ! Un an plus tard, il devient gérant d’un bureau télégraphique. Toujours ce goût des Collette pour la modernité ! A la même époque, son établissement est mentionné en exemple au sein d’un descriptif assez exhaustif de la région Nord. Un schéma de la colonne distillatoire rectangulaire de M. Savalle fils, à Paris, permet d’avoir un aperçu du matériel utilisé. M. Collette a une  « belle usine qui distille des jus fermentées ; elle épuise par jour l’alcool contenu dans 300 hectolitres de jus fermentés ou 25 000 kilogrammes de betteraves. Elle fonctionne d’une manière parfaite ». 

 

René Collette investi à Allennes-les-Marais, un petit village à une dizaine de kilomètres de Seclin où vivent ses parents. Cette ferme distillerie prend le nom de Société Collette et Cie et s'installe au sein d'une vaste et ancienne "cense" dite "de Layens". La porte cochère, toujours là de nos jours, date de 1779 et on peut y voir les armes de Jean le Vasseur.

Dans l’acte du 19 mai 1886, le capital apporté est de 800 000 francs. A titre comparatif, trois mois plus tard, l’acte des Moères montre un capital de 1 125 000 francs. René Collette semble au fait de sa réussite3, pourtant à cette époque, aucune palme, aucun prix ne vient encore couronner ce dynamisme. Cela ne va pas tarder ! Trois ans plus tard, il expose lors de l’Exposition Universelle Internationale se tenant à Paris. Il y met en avant la distillerie raffinerie des Moères et obtient un diplôme d’honneur. Il enchaine les expositions : 1893 à Chicago, 1894 à Anvers, 1895 à Bordeaux.

En 1900, les progrès sont nets dans cette industrie. Seclin brille avec l’exposé des travaux de MM. Boidin et Calmette mais aussi par la colonne de distillation Collette, fruit de la collaboration d’Auguste et René. Celle-ci « en fonctionnement est pleine de liquide ; mais elle est néanmoins divisée, à l’intérieur, en nombre de tronçons, séparés par des plateaux perforés, égal à celui des colonnes ordinaires. Le liquide contenu dans chacune des sections descend de plateau en plateau par des déversoirs alternés et la vapeur traverse méthodiquement chacune d’elles par les perforations en sens inverse de la descente du vin. Le vin est donc constamment émulsionné et agité, il descend en courant continu et les dépôts sont impossibles »4.

Les Collette obtiennent une médaille d’or pour la colonne, René repart avec un Grand Prix pour ses alcools épurés et raffinés.

 

Le succès permet à René Collette de faire sa publicité dans le monde entier : en Indochine à Hanoï en 1903 en Autriche-Hongrie à Vienne en 1904 et même aux Etats-Unis lors de l’exposition de Saint-Louis. A chacune d’elles, René Collette se voit remettre un Grand Prix. Pour celles d’Arras en 1904 et de Liège 1905, M. Collette se permet d’exposer hors concours et devient une sommité en tant qu’expert du jury ou membre du comité d’admission et d’installation.

 

En 1900, à l’âge de cinquante-trois ans, il est à la tête de la Société Anonyme des distilleries des Moères, de Rexpoëde et d’Allennes. Le capital de cette entreprise est de 1 600 000 francs. L’Etat lui décerne le grade de chevalier de la Légion d’Honneur le 11 octobre 1906 et celle de chevalier du Mérite Agricole.

 

Dans une étude sur la vallée de la Haute-Deûle écrite par Alfred Fichelle5 en 1912, on trouve ceci : "La distillerie d'Allennes-les-Marais à laquelle est adjointe aussi une ferme de 110 hectares est pourtant loin d'être à Allennes ce que la distillerie Barrois est Marquillies, car la fabrication y est continue. Betterave, riz et maïs y sont travaillés d'après le procédé dit de "l'Amylomyces Rouxii" et alternativement. Le procédé "Amylo" (voir ci-dessous) qui demande de multiples précautions d'asepsie très difficilement réalisables dans une usine ne fournit pas un fort rendement. L'usine produit 105 hectolitres d'alcool par jour ; elle occupe 80 ouvriers. Comme le riz et le maïs se distillent de février à septembre, l'usine ne connaît pas la morte-saison". En 1909, 2/7e du territoire d'Allennes était dédié à la betterave, soit 124 hectares, dont 3 en betteraves à sucre, 101 pour les betteraves de distillerie et 20 en betteraves fourragères.

 

Marié à Jeanne Verhaeghe, né en 1856 à Merville, René Collette aura deux filles Cécile et Renée. Ils vivent au château, numéro 1 rue du Bois à Allennes-les-Marais. Ils ont à leur service une domestique et une servante. Il y décède le 5 mars 1910 à l’âge de soixante-deux ans. Il est inhumé dans le caveau familial le jeudi 10 mars. Un obit solennel est organisé le jeudi 7 avril en l’église des Moères. Le château fut vendu dès 1912 et n'existe plus.


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Document scientifique (source BNF Gallica)
Les recherches menées conjointement par MM. Calmette, Auguste Boidin et Colette seront d'une grande importance pour améliorer le rendement dans les distilleries.
A Seclin, le chimiste Boidin se lancera lui-aussi dans l'aventure industrielle et fondera en 1922 "Rapidase".
Revue mycologique - 1901 - Amylo.pdf
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Recherche et rédaction : Maxime Calis - guide-conférencier - Office Tourisme Seclin & Environs ©

 

Notes

 

1. Collette n'est pas seul à tenter de rendre utile ce territoire. Dès 1853, M. Moissenet, par exemple, se lança dans l'asséchement puis la mise en culture d'un domaine dit "des Mille-Mesures" (Journal agriculture - Tome 3 - 1869).

2. extrait de Journal de l'Agriculture - 1872 - article de Jacques Barral "Nouveaux appareils de distillation".

3. Alors que René Collette investit à tout va, on note, en consultant les Archives commerciales de France, que le 2 août 1886, la dissolution de la Société anonyme du canal de Seclin qui fut un fiasco retentissant !

4. Exposition Universelle de Paris en 1900 - rapport du jury international - Groupe X - Aliments, 1ere partie, classe 55 à 59 - extrait P. 79

5. Bulletin de la Société de Géographie de Lille - Avril 1912 - "Etudes de géographie humaine sur quelques communes de la Haute Vallée de la Deûle" p. 213-246