HOUPLIN-ANCOISNE - La Ferme "de l'Environnement" au travers de la vie de Louis Heddebault

Le nom de Heddebault vous est peut être inconnu et pourtant, localement, régionalement et même nationalement, cette famille originaire de Faches-Thumesnil a occupé de hautes responsabilités au XIXe siècle ; l’une d’entre elle par son mariage devenant même Comtesse !

La branche qui nous concerne est celle qui va lier sa destinée à Houplin et plus précisément la vie passionnante de Louis Désiré Bonaventure Bien Aîmé Heddebault (1820-1882). La ferme dite de l'Environnement fut dans la seconde moitié du XIXe siècle un modèle... voici son histoire oubliée !

Géry Eugène Heddebault (1803-1875), député (source BM Lille)
Géry Eugène Heddebault (1803-1875), député (source BM Lille)

La famille Heddebault de Fâches à Houplin

 

Notre homme est le petit-fils de Michel François Heddebault (1733-1810), un fermier de Faches-Thumesnil, désigné entre autre Président du Comité de Surveillance du village le 24 Novembre 1793. Il aura deux garçons.

 

L’aîné se nomme Alexandre Géry Heddebault. Né le 5 Juillet 1775, il sera successivement marchand d’huile, cultivateur et maire de Fâches, d’abord fugacement en 1802 puis très longuement de 1814 à 1846. Il terminera sa vie dans son château de Thumeries le 9 mai 1856. De son mariage avec Eugénie Coget, il aura, entre autre, un garçon, Géry Eugène Heddebault1 (1803-1875), un républicain et député durant la 2e République.

 

Le cadet d’Alexandre est Louis François Xavier. Né le 13 Mars 1783, il s’installe aux alentours de 1820 à Houplin en tant que propriétaire cultivateur. Avec son épouse, dix ans plus jeune que lui, Alyse Rosalie Sy, il aura en 1818 une fille Adèle Clémentine qui décèdera à l’âge de 20 ans, et surtout l’homme qui nous occupe : Louis Désiré Heddebault qui voit le jour à Houplin le 30 Juin 1820.

 

Il prend femme en la personne d’Elisa Catherine Prudence Durot, une Houplinoise qui vit le jour le 30 Septembre 1831.

Fille de Louis François Auguste Durot (mort 14 Octobre 1848) et d’Henriette Elisabeth Bruneau, Elisa est un bon parti ; l’acte de décès de sa mère du 4 mars 1868 désigne celle-ci comme « rentière ». Autre mention, la Veuve Durot occupe le château d’Houplin2 dans un almanach de 1863. Elisa est également la sœur d’Auguste-Humbert Félix Durot (1833-1885) qui, outre le fait qu’il fut le maire d’Houplin, reçu le grade de chevalier de la Légion d’Honneur en 1872 pour sa bravoure lors des batailles dans notre région en 1870, puis en tant que lieutenant commandant des sapeurs-pompiers d’Houplin sût, là encore, faire preuve sa témérité.

 

Leur mariage en mairie eut lieu le 29 Avril 1851.

Illustration : M. Boitel - Concours régional de Lille - 1870 : "Notice sur le département du Nord"
Illustration : M. Boitel - Concours régional de Lille - 1870 : "Notice sur le département du Nord"

Une exploitation agricole émérite.

 

Dès leurs débuts à Houplin, le savoir-faire des Heddebault est mis à l’honneur lors de concours agricoles. Dans un hommage posthume à un ami3, Louis Heddebault semble presque décrire leur parcours : « comme tous les débutants dans la carrière agricole, (nous nous laissons) d’abord aller à la poésie du beau bétail ». En 1826, Louis Xavier Heddebault reçoit un prix de 200 francs pour le « plus beau taureau de race hollandaise » lors d’un concours à Lille. Les génisses sont ensuite le fleuron de l’exploitation, car une première médaille est attribuée en 1847. Cette race « assez répandue dans le Nord (…) est moins élevée, mais plus développée que la race flamande ; elle se distingue surtout par sa robe composée de plaques blanches et noires. Elle exige de bons herbages ou une abondante nourriture, mais elle est la première de toutes les races laitières »4.

Les Heddebault semblent alors grandement motivés par cette catégorie car une autre distinction arrive le 4 avril 1849. Ils repartent avec une prime de 80 francs et les deux premières places pour des génisses dans le cadre d’un concours pour les animaux destinés à la reproduction. Lors du même concours, petite déception avec une sixième place pour un lot de douze moutons. Mais un an plus tard, persévérant dans leurs efforts et malgré la concurrence en grand nombre de belles génisses, le jury arrête une nouvelle fois son choix sur onze génisses hollandaises et flamandes de la ferme Heddebault qui repart avec un prix de 100 francs et une médaille d’argent, grand module.

Fréquemment présent sur les concours, il donne son expertise, ses avis. Il écrit en 1857 qu’ « aux concours, les animaux offrent le plus grand intérêt – et, ceci soit dit en passant, il serait bien à désirer que l’administration supérieure prit les mesures nécessaires, facilitant les transports des animaux par les chemins de fer (…). Le déplacement des animaux, pour les réunions, favorisent les recherches comparatives, les importations, les croisements. L’appréciation des diverses races est longue et minutieuse : telle race bonne, excellente en tel lieu, ne vaudrait rien autre part (…) ».

Bien que soucieux du confort de ses 70 boeufs, Heddebault n'en demeure pas moins un homme de commerce.

En Janvier 1870, il établit sur Lille une boucherie agricole où il vend la viande de ses bestiaux cinq centimes au-dessous du cours.

Dix ans plus tôt, il s’exprime sur les moyens d’améliorer la race « d’un immonde animal » : le cochon ! Trouvant la consommation française nettement plus basse que celle des anglais, Heddebault fait « de la réclame » afin de « mettre un peu plus de graisse sur la tartine du paysan »5. Il se démarque de ses concurrents et, à des prix nettement plus bas, propose « des races Yorkshire pure ou Yorkshire-Leicester à 25 frs, rendus au chemin de fer, frais d’emballage compris ».

 

Illustration - Ferme Demesnay (Templeuve)
Illustration - Ferme Demesnay (Templeuve)

Quelle est l’ambiance de la ferme Heddebault ?

 

Un contemporain6 en dresse quasiment le portrait-robot.

« Les bâtiments, de construction moderne, sont en briques, en pierre de taille et très disposés et aménagés. Le plancher est formé de petites voûtes en briques, soutenues par des poutrelles ou des fers en T. L’étable à deux rangées d’animaux, et les vaches sont séparées les unes des autres par des stalles, ayant une mangeoire et un râtelier (…). Les urines produites par les animaux s’écoulent dans les deux rigoles ; un conduit les dirige vers la fosse à purin, qui est située au milieu de la cour, à côté de la fosse à fumier (…).  Tous les bâtiments qui (la) composent sont disposés sur les trois ou quatre côtés d’une cour (…). L’intérieur de la maison est tenu avec une propreté excessive. Aussi éprouve-t-on une véritable satisfaction en pénétrant dans (cette) habitation, où tout annonce l’ordre, l’économie, l’aisance, l’amour du travail et le bonheur. Les laiteries sont lavées tous les jours. Leurs ustensiles sont brillants de propreté »… d’où lors des concours, les récompenses reçues par le personnel.

Illustration du "Journal Agriculture Pratique"
Illustration du "Journal Agriculture Pratique"

Une médaille d’argent et 20 francs sont données à Melle Léocadie Valanduc après ses 25 années comme servante de ferme en 1849.

Deux ans plus tard, après 39 ans de service, l’ouvrier journalier Delphin Lagache (1788-1864) reçoit les mêmes distinctions. Louis Heddebault reconnait lui-même qu'en ouvrant « les catalogues officiels de nos concours, on y trouve les titres les plus aristocratiques inscrits parmi les noms d’artisans, de laboureurs ; l’agriculture a opéré ce prodige, souvent même, la liste des récompenses appellera le paysan avant le gentilhomme, sans que l’on songe, de ce fait, à autre qu’au mérite du lauréat »7

Membre de la Comice Agricole de Lille, Louis Heddebault est un homme reconnu par ses pairs ; il sera leur président. Dans cette fonction lui incombe les hommages, tel son discours lors des funérailles à Avelin de son condisciple Alexandre Antonin Des Rotours8 (1806-1868) ou sa présence sur la liste des souscripteurs pour l’érection d’un monument à Orange en mémoire d’un agronome, le Comte Adrien de Gasparin9.

 

Il arpente les allées de l’Exposition Universelle de Paris en 1867 ou se plonge dans les ouvrages pouvant « être mis entre les mains des enfants des écoles ». S’il ne remporte que la médaille d’argent10, il est intéressant de mentionner l’existence d’un mémoire écrit par M. Berruet, instituteur communal à Houplin, qui avec « (…) une plume exercée donne les principes généraux qui devraient être développées par l’instituteur. Il passe en revue les plantes cultivées autour de nous ; il fait naître des idées justes et fécondes chez le lecteur qui sait réfléchir (…) ». Avis aux chineurs de mettre la main sur ce mémoire intitulé « Cadre des Etudes Agricoles » qui ne semble pas, hélas, avoir été publié ou gardé par le Comice Agricole de Lille en 1865.

 

Mais revenons un peu en arrière.

Toujours curieux de nouveautés, les Heddebault se font une fois de plus remarquer par une médaille d’argent au mois de Septembre 1849, « pour avoir introduit des semis en ligne dans (leur) commune où cette méthode n’avait pas encore été mise en pratique ». Il est très fortement probable que cette technique soit liée à la culture de la betterave car outre, la ferme et l’élevage, Heddebault est aussi le propriétaire d’une distillerie de betteraves et « la haute cheminée de cette usine agricole ajoute beaucoup au coup d’œil agréable » à l’aspect de la ferme précédemment décrite.

 

Le tubercule est « toujours semé en place et en ligne. On ne cherche pas à obtenir des racines saccharifères très développées, mais le produit le plus élevé possible par hectare. On les sarcle d’abord avec la rasette. Quand elles ont été démariées ou éclaircies, on les bine avec la houe à cheval. Pendant l’été, on les butte légèrement et on les arrose en faisant arriver de l’eau dans les sillons qui séparent les lignes. On les arrache à la fourche ou au louchet, on coupe les collets et les livre aux sucreries, ou on les met en silos établis le plus près possible des chemins en bon état, afin que les transports puissent s’effectuer aisément pendant les mois de novembre et décembre »11.

Illustration du support à civières utilisé dans la ferme Heddebault (1871)
Illustration du support à civières utilisé dans la ferme Heddebault (1871)

A propos de transport, un témoignage de Louis Heddebault nous apprend l’existence d’un système de portage assez sophistiqué.

 

« Equipés comme nous le sommes, c’est-à-dire avec dix wagonnets et vingt civières, remplis par moitié quand l’autre moitié roule pour éviter les pertes de temps, deux ouvriers et deux enfants peuvent enlever 40 000 kilos de betteraves à distance moyenne de 250 mètres. Ce résultat est très beau ; la traction sur terrain à surface plane ne nécessite que les efforts modérés d’un home pour conduire dix civières contenant 1 000 à 1 200 kilos de betteraves »12.

 

Lors d'une séance le 14 Novembre 1866, Heddebault donne une vision très précise de son exploitation13. « Je cultive 50 hectares, et j’obtiens 34 hectolitres de blé par hectare et 60 000 kilogrammes de betteraves en moyenne. J’obtiens un rendement supérieur à mes voisins, par suite des irrigations de vinasse que je fais faire, et que facilite pour moi ma fabrique d’alcool (…). Je ne me plains pas de la rareté des bras, elle ne résulte que de l’infériorité des salaires donnés par l’agriculture relativement à ceux donnés par l’industrie. Pour y remédier, il faut amener l’industrie agricole à la ferme : la fabrication de l’alcool et du sucre, par exemple. Si en ce moment ma fabrique d’alcool ne me donne pas de bénéfices, elle me procure au moins par les pulpes la nourriture des animaux. J’engraisse constamment 70 bœufs et le fumier qu’ils me donnent, en raison des vinasses que je tire de ma distillerie et qui me servent d’engrais, m’embarrasse souvent(...) ».

Son système d'irrigation est même mis en scène par une aquarelle qui sera présentée lors de l'Exposition Universelle de Paris en 1867 ! Si nous ne savons ce qu'est devenu cette oeuvre, nous pouvons l'imaginer grâce à un rapport d'un éminent agronome chimiste : Benjamin Corenwinder (1820-1884). "Au sortir des appareils distillatoires, ces résidus sont conduits par des nochères suspendues, dans un réservoir situé à quelques centaines de mètres de distance ; de là, ils sont distribués par des rigoles entre les lignes de betteraves, et ils leur communiquent une végétation luxuriante. Les vinasses, provenant de la distillation des mélasses, sont des matières très fertilisantes, ainsi que l'ont constaté plusieurs cultivateurs".

 



"L'engrais du Grand-Clos", dernière réalisation et succès de Heddebault

Homme de terrain, jamais rassasié et surtout expérimentateur, Louis Heddebault constata, après vingt ans, malgré "sa croyance dans les abondantes irrigations de vinasses que celles-ci ne pouvaient suffire à entretenir indéfiniment, et sans autre engrais, la fertilité de son sol. Convaincu par l'expérience, par des pertes assez considérables, que ce mode d'engrais est tout à fait insuffisant, puisqu'il ne rend à la terre qu'une partie des éléments que les récoltes lui ont enlevés, la potasse et un peu d'azote, M. Heddebault vendit son matériel et transforma son usine en une fabrique d'engrais artificiels".

On peut également attribuer à la venue de M. A. Ladureau et à ses conseils, ce changement d'état. Ladureau était au tournant des années 1880, le directeur de la station agronomique du Nord et du laboratoire de l'Etat. Plus haut, Heddebault mentionnait qu'il cultivait betterave et blé, mais les récoltes à l'hectare de la céréale baissaient progressivement et avait "grande facilité à verser". Ladureau analysa les terres et démontra qu'elles "renfermaient, en proportions très convenables, tous les éléments de fertilité, sauf l'acide phosphorique, qui avait complétement disparu de la couche supérieure, jusqu'à 0.35 m. de profondeur". L'ajout en grande quantités de phosphates de chaux solubles et insoluble rendit les rendements en blé "satisfaisant". Cette amélioration flagrante de ces terres par un engrais l'encouragea très probablement dans cette nouvelle voie.

 

Louis Heddebault va déposer plusieurs brevets pour des "matières fertilisantes" qui seront utilisées dans le département du Nord sur le culture de lin et ailleurs en France sur des vignobles. Une séance de la Société d'Agriculture de la Côte d'Or, en date du 8 avril 1877, nous apprend que Louis avait déjà envoyé ses engrais dans la Marne, dans l'Yonne et que, face au succès, leur en envoyait "gratuitement et  franco de port cent kilogrammes de ses quatre engrais : le premier à base d'azote, le deuxième à base potasse, le troisième à base de phosphate, le quatrième contenant tous ces éléments qu'il appelle engrais complet".

 

Enfin, nous ne serions être complet si nous en mentionnons pas en 1880 une autre "fabrication industrielle : l'azotine" qui fut mise en oeuvre dans l'industrie des chiffons.

 

Louis Heddebault aura une fille, Marie Alice (née le 12 août 1852) qui épousera en 1885 Louis "Narcisse" Gruyelle. Après le décès de Louis, le 19 Mars 1882, ce sont eux qui vont récupérer la fabrique d'engrais. Elisa Catherine Durot, épouse Heddebault, décèdera le 24 Juin 1898.

Recherche et rédaction : Maxime Calis, guide-conférencier - OT Seclin & Environs - Avril 2018

 

Cet article est dédié à M. Christian Desjardins qui anima pendant de longues années l'association "Grand Père" et qui me fit découvrir tant de choses sur l'histoire de ce village.

 

Notes :

1.    Le député Géry aura une fille Adèle Alice (1837-1899) qui grâce à son mariage deviendra Comtesse, elle épousa Ladislas Gaston de Beaussier de Chateauvert. Géry avait une sœur, Eugénie (1806-1881) et un frère, Louis (1810-1845) qui trouvera une épouse en sa cousine, Adèle Clémentine, la sœur de Louis Désiré Heddebault.

 

2.     Vraisemblablement le château dit « Du Bois de Loup » entre Seclin et Houplin-Ancoisne qui sera ensuite la demeure de Madame Alfred Delaune, veuve, jusqu’à sa destruction en 1918.

 

3.       Journal de l’Agriculture Pratique - l’Agriculture du Nord p. 14-19 : Hommage à Charles Hary, lettre de Heddebault écrite le 11 Novembre 1867.

 

4.       M. Boitel – Concours régional de Lille : Notice sur le département du Nord – 1870 - p. 84

 

5.       Lettre de Heddebault à Monsieur Courtin à Lourches, Houplin, le 12 Avril 1860.

 

6.       Id. 4 – p. 66.

 

7.       Revue du mois littéraire et artistique – 25 Juin 1863 – « Le concours agricole de Lille par L. Heddebault ».

 

8.       Ce Normand, d’abord militaire, installa une raffinerie à Avelin. Propriétaire du château bâti en 1775 par Michel Lequeux mais remis en état par Beuvignat suite aux exactions révolutionnaires, Des Rotours lancera le projet d’une nouvelle église Saint Quentin dans un style néo-gothique, exécutée bien sûr par l’architecte Charles Leroy. Homme politique de conviction bonapartiste, il est conseiller d’arrondissement, puis Conseiller général du Nord avant d’être élu député de 1863 à 1868. 

 

9.     Cette statue n’existe plus, elle fut enlevée par les Allemands en 1942. Outre son travail dans l’agronomie, le Comte Gasparin fut également Ministre de l’Intérieur et le Préfet de Lyon où il conduisit la répression des Canuts en 1834.

 

10.    La Commission accorde la Médaille d’or à un autre instituteur P. Francq de Mardyck pour sa « Visite à la ferme de M. Dumont ». 

 

11.    Id. 4&6 – p. 79

 

12.    Gazette du Village – 31 Décembre 1871 : « Le porteur universel »

 

13.    Enquête Agricole Départementale du Nord – séance du 14 Novembre 1866 – p. 394