Seclin - Au temps des moulins (1ere partie)

Jusqu'au milieu du 19e siècle, venant de Seclin vers Lille, le voyageur devait admirer tel un Cervantès, les innombrables moulins à vent de part et d’autres de la route1. Poursuivant la métaphore d’un Don Quichotte luttant vainement, un dicton populaire local mettait d’ailleurs en garde contre celui de Lesquin : «  Il a passé au moulin de Lesquin ; il en a reçu un coup d’aile »… manière de désigner l’idiot du village ou la démence.

 

Donnant son nom à un quartier de Lille, cette terre de moulins remonte aux temps des Comtesses Jeanne et Marguerite. Au XIIIe siècle, des graines oléagineuses s’implantent dans le secteur et on commença alors à les extraire par le biais de moulins à vent. A l’origine, on trouve la trace de la navette qui contenait 30 à 35% d’huile au goût de navet ou de chou. Cette plante fut plus tard supplantée par le colza, qualifié pourtant de « graine insolite » en 1696 dans l’arrondissement de Lille.

 

Grâce à l’Intendant de Flandres, un certain Bagnols, on sait qu’en 1686, notre terre accueillait colzat, navette, tabac, houblon, cameline, garance, wedde ou encore vaude.

 

Dans cette liste, le nom de wedde mérite de s’arrêter quelques instants car cette plante fit la réputation de notre contrée. Région productrice de draps, la Flandre avait un besoin important en teinture ; la wedde (isatis tinctoria) répondait à merveille à ce besoin. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, les teinturiers d’Ypres en achetaient outre aux picards et arrageois, aux gens d’Annoeullin, Lille et Seclin2.

 

On sait que cette culture et ses étapes de transformation étaient exigeantes. La récolte des feuilles pouvait aller de cinq à dix fois par an. On les écrasait, puis on les mélangeait à de l’eau afin d’en extraire la pulpe. Elles étaient ensuite constituées en boulettes (ou cocagnes) qu’on laissait sécher et fermenter pendant un à deux mois.

 

L’étape suivante utilisait la force motrice des moulins car les cocagnes étaient écrasées afin d’obtenir une poudre qu’on additionné d’urine. Cette alchimie donnait une pâte qui après un temps de séchage produisait enfin une poudre tinctoriale bleutée. Les teinturiers avaient alors le pigment bleu nécessaire à la teinte des draps.

 

La culture et le savoir-faire lié à la wedde donna pendant des générations travail et reconnaissance aux habitants des environs. On mentionne également le cas de splendides récoltes de blé sur des terres ayant eu auparavant une culture de wedde ; l’agriculture pratiquait l’assolement triennal avec jachères.

 

Ainsi l’arrondissement de Lille était « un pays de cocagne » et aurait pu le rester s’il n’y avait eu l’implantation de l’indigo vers le XVIIe. Sa facilité d’exploitation mis à terre l’économie d’un pays car on sait que vingt-six communes de la châtellenie la cultivaient en 1545. En 1811, seules trois communes, dont Noyelles-lez-Seclin, en avaient conservé la culture.

 

Malgré l’anéantissement de la wedde, l’arrondissement de Lille demeura une terre agricole productrice de graines oléagineuses : colza, oeillette, lin, cameline, chènevis. Le besoin en moulin à vent était donc considérable, et en 1827, le secteur lillois concentrait 264 moulins à vent contre seulement trois mus par l’eau. A titre comparatif, Bergues n’en avait que 22, Hazebrouck 44 ou Cambrai 25. Tant qu’il ventait, ces moulins étaient actifs. Si un moulin à vent pouvait produire de 4 à 600 hectolitres d’huile par an, on arrivait alors à 150 000 hectolitres pour l’ensemble.

Comme tout l’arrondissement, Seclin s’inscrit pleinement dans cette pratique. En 1830, on y récolte des graines grasses, des céréales, du lin et du tabac, mais ce sont principalement colza et oeillette qui poussent aux pieds des dix moulins à huile et trois moulins à blé.

 

Les archives de l’Hôpital de Seclin révèlent pourtant une singularité : la présence « de moulin de pierre » et d’un moulin dit « rouge » car construit en briques. Bâtis sur une assise en dur, ces moulins pouvaient pivoter afin d’être dans la direction du vent. Si on note des moulins bâti de cette manière au Siècle des Lumières, la capitale du Mélantois en avait déjà établi de semblable à la fin du Moyen-Âge3. Le moulin « rouge » d’abord affecté à moudre le blé devient lui aussi un tordoir à huile en 1678.

 


Maxime Calis - guide-conférencier - Office de Tourisme Seclin & Environs

Notes et sources :

1.     « En sortant de Seclin, vous verrez la plaine couverte de moulins, bâtis à côté de petites maisons que l’on nomme hobettes dans le pays. On en compte plusieurs centaines et c’est un spectacle fort curieux que celui de toutes ces machines en mouvement (…) Le pays en retire d’immenses avantages, car l’huile des graines que l’on y fabrique s’expédie dans toute la France et dans plusieurs royaumes de l’Europe ». Itinéraire Historique du Chemin de Fer du Nord – 1849.

 

2.     DERVILLE, Alain – L’économie française au Moyen Âge – p. 94

 

3.     COUTANT, Yves – Le moulin de pierre, dit moulin blanc de Seclin (XIV-XVIIe siècles) – mémoire DEA, Lille, 1986