Chapitre 4 : Revanche ou pacifisme ?

A la veille de la guerre, le débat national est plutôt tendu. Aux idéaux pacifistes et internationalistes des uns, répond l’esprit de la «Revanche» et un soutien à l’armée. A Seclin, on connait avant guerre cette ligne de fracture. Une frange ouvrière radicale côtoie un patronat militariste et nationaliste.

L’image d’Epinal des troupes partant combattre « la fleur au fusil » est venue masquer un sentiment assez répandu au sein de la population : un refus de la guerre.
Le combat pacifiste de Jean Jaurès qui le payera de sa vie, le 31 juillet 1914, est à inscrire dans un mouvement d’opinion
assez vigoureux au sein de la jeunesse et des milieux anarcho-syndicalistes.
Il faut préciser que Jaurès, auteur de l’Armée Nouvelle, n’était pas contre l’idée de guerre vue dans un but de défense nationale.
A Seclin, comme dans de nombreuses villes ouvrières, les idées socialistes et anarchistes se diffusent. Un journal de la métropole, Le Combat ou Organe
Hebdomadaire de Défense et d’Éducation Ouvrière, dispose d’un lectorat à Seclin. Son bureau était installé au n°97 rue de Burgault, chez les Lemière. Les propos parfois extrêmes ou crus, dénonçant aussi bien la vie à l’usine, la répression politique ou l’anticléricalisme sont à replacer dans un contexte de vives tensions.
L’antimilitarisme est un sujet de débat majeur depuis que la durée du service militaire est passée de deux à trois ans. Le Congrès de Bâle ou le grand rassemblement au Près Saint Gervais sont inscrits dans la mémoire, mais faut-il oublier qu’au sein même de l’armée, un mouvement d’opinion existait ?

Le journal de la CGT, La Bataille Syndicaliste dénonce les conditions de vie du soldat, le journal Le Combat colporte lui-aussi la misère des casernes.
En date du 1er novembre 1913, l’article « A l’ombre du drapeau », une scène rapportée depuis le 1er Régiment d’artillerie à Maubeuge : les « bleus qui viennent d’arriver dans les chambrées il n’y a pas suffisamment de lits pour les coucher, il fallut tant bien que mal monter des lits avec trois planches sur deux tréteaux et en guise de matelas une vieille paillasse bonne à être mise au fumier (…) ».

Quelques semaines plus tard, Arthur Duriez s’alarme de la vision « d’un troupeau d’individus que l’on appelle conscrits, se promenant musique en tête et au milieu d’eux un torchon (…) car vendredi dernier c’était rendez-vous à la mairie pour la préparation de l’abattoir et ils étaient gais ces innocents (…). »
Et plus loin de continuer à dénoncer la maladies contagieuses, tels que rougeole, fièvre typhoïde, scarlatine, méningite-cérébrale (…) ».
Plus loin, c’est un cri de détresse aux « mères de familles » à qui on enlève leurs gosses d’à peine vingt ans. Un écho aux chansons militantes de l’époque, comme La Grève des Mères de Montéhus.
A la lecture de ces journaux, à la poursuite clandestine au sein des chambrées d’une pensée politique, mais aussi à cause précisément des dures  conditions rencontrées au sein des casernements, des mouvements de mutinerie se développeront en mai 1913. Vite réprimées, ces mutineries montrent malgré tout une imprégnation de la conscience antimilitariste au sein de soldats issus des milieux ouvriers, donc plus perméable aux idées « extrémistes ».

Au débat orageux national, la scission existe franchement au sein de la vie seclinoise d’alors.
Le 13 Juillet 1913, lors de la Fête du journal Combat, les militants d’extrême gauche se rendant en forêt de Phalempin en groupe joyeux, entonnant l’Internationale à chaque point de rencontre, sont obligés de faire un détour car sur la Grand Place de Seclin, ils sont arrêtés par un groupe de «pandores».
Ici comme ailleurs, au sein de la société civile, les deux camps se font face et développent des opinions et des manières en totale contradiction.

La Seclinoise : une société de gymnastique un peu particulière
Sous le terme de gymnastique, on aurait du mal cent ans après à imaginer que cette société fondée en 1902 pratiquait également l’instruction au tir et aidait à l’option du brevet d’aptitude militaire. Cette instruction se faisait d’ailleurs sous l’œil d’un officier du 43e Régiment d’Infanterie de Lille.
La Seclinoise est fondée par des industriels, dont MM. Claude Guillemaud et Drieux, deux filateurs reconnus et respectés. Elle est affiliée à l’Union des Sociétés de Gymnastique de France qui porte sur sa bannière cette devise : « Patrie, Courage, Moralité ». Pierre de Coubertin et son idéal olympique sont bien loin de la visée politique de ces institutions sportives du début du XXe siècle. L’objectif est la
formation du corps et de l’esprit dans un plus grand dessein : le sacrifice personnel pour le pays. Le rappel perpétuel auprès des élèves des territoires perdus instaure chez les plus jeunes cet esprit de sacrifice pour la Patrie, qu’on se doit de défendre et protéger. Alors pourquoi ne pas s’inscrire dans la société de tir, Pro Patria ? Créée en 1912, elle avait son siège à l’Hôtel de Ville. On y pratiquait le tir au fusil Gras Jouvet, le tir à la carabine au stand militaire de Lille, mais aussi le tir à l’arme de guerre.
A la veille de l’attentat de Sarajevo, ces groupes, témoins de la diversité du pays, semblent définitivement antagonistes. Rien ne pourrait les faire se rapprocher, c’est du moins le sentiment de l’époque.

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