Apollon et Dionysos en concert à Seclin ?

La salle des fêtes de Seclin s'est refait cette année un petit lifting suite à quelques faiblesses de sa façade1. Maintenant que le chantier est terminé, penchons nous sur la symbolique qui accueille le public. Je trouve dommage que dans le cadre de ces travaux, une partie du message de l'architecte Louis Mollet fut purement et simplement transformé. Mais avant de voir cela, un retour aux origines de ce lieu si apprécié de nos jours pour la qualité et la diversité des artistes et spectacles qui s'y tiennent.

Avant d'en venir aux dieux de la Grèce Antique, un petit retour sur l'environnement de la salle : le centre-ville de Seclin.

 

La Salle des Fêtes a pris place là où jusqu'en 1918 se dressait l'Hôtel de Ville.

 

A deux pas de l'église Collégiale, ce site est en plein coeur du quartier historique de la ville, soit dans ce "quartier canonial" qui fut façonné au fil des siècles par le Chapitre des chanoines. Nos actuelles rues Jaurès, Carnot, Abbé Bonpain, Saint Louis, bornées par la place Saint Piat, les rues Maurice Bouchery et Dormoy, forment une sorte de ovale qui serait la "limite" originelle de ce quartier, donc du Seclin des origines.

 

La dénomination de la rue actuelle (Jean Jaurès) a fait oublier que pendant des siècles elle s'appelait la rue du (des) Wetz (Wez) ! Un curieux terme régional, mais pas unique puisque l'on trouve une rue éponyme à Douai, qui désigne soit un gué ou, et on penchera ici pour la deuxième option, un abreuvoir ! Le plan cadastre de 1812 indique clairement l'abreuvoir, et même encore aujourd'hui, l'angle de la rue Jaurès avec la rue des Bourloires, l'a gardé en mémoire.

La situation de la salle des fêtes est donc liée à la destruction de l'Hôtel de Ville en Octobre 1918 par les militaires allemands. Notons qu'entre le premier "hôtel échevinal" et l'actuel Hôtel de Ville, rue Roger Roger Bouvry, la maison communale changea au moins six fois de place... et cela en un peu plus de 100 ans !

 

Durant l'entre de guerre, on confia au jeune architecte Seclinois Louis Mollet le soin de réaliser la nouvelle salle des fêtes.

Ce choix est loin d'être une surprise à l'époque car la famille Mollet a déjà donné nombre de bâtiments à la ville. Qu'ils soient privés, municipaux ou religieux, les Mollet ont inscrit leurs réalisations dans l'héritage architectural de notre commune et façonné la ville que nous connaissons.

 

Mais au delà de son rôle simple qui demeure être la salle des festivités communales, Louis Mollet a donné sur sa façade une leçon de mythologie gréco-romaine aux Seclinois.es ! On peut même aller jusqu'à penser qu'il y a même glissé un peu de philosophie Nietzchéenne. L'aviez-vous remarqué ?

A quel style architectural se rattache la Salle des Fêtes ?

 

La Salle des Fêtes est une création en 1927-28, son parement de brique cache en fait une armature en béton armé ancrant ainsi ce bâtiment dans un style désigné sous le nom de « modernisme traditionaliste ». Un mouvement dans l’architecture qui s’incarne (en rupture avec l’Art Nouveau), dès les années 1910. Le théâtre des Champs Elysées (1911) à Paris en est l’un des premiers exemples. « Auguste Perret penche pour des formes rectangulaires en béton qu’un décor vient ornementer » (Les styles de l'architecture et du mobilier, par Christophe Renault). Ce théâtre de Paris sera dès son origine, le 29 Mai 1913 celui des audaces avant-gardistes des célèbres ballets Russes de Serge Diaghilev avec le danseur Nijinsky et la musique révolutionnaire de Stravinsky : le ballet du Sacre du Printemps2.

Un style architectural que l'on retrouve après guerre dans d'autres réalisation comme le Pavillon du Collectionneur de P. Patout lors de la célèbre exposition des Arts Décoratifs de 1925 à Paris qui lança au niveau mondial ce qu'on désigne comme l'Art Déco !

 

La salle des fêtes de Seclin possède un avant-corps, une façade où figure sur le tympan du fronton à volutes le blason de la ville (l’écusson).

Par-dessous, des tesselles de tomettes vernissées offre un décor le mettant en valeur.

Les trois masques sacrifiés

 

La corniche du tympan protégeait jusqu'aux travaux de 2017 trois masques différents comme l'on peut aisément associer à la pratique du théâtre grec antique.

La restauration de 2017 a malheureusement désormais transformé le message originel de Louis Mollet. Seul le visage exprimant la joie, aujourd'hui multiplié par trois, reste.

Seront ainsi oubliés à jamais les deux autres masques qui exprimaient semble t-il des émotions : la colère pour celui du milieu et vraisemblablement l'effroi ou la peur pour le dernier. Celui-ci était cassé, mais au regard des ondulations de la chevelure on peut l'associer aux représentations de la Méduse ou Gorgone !

Comme quoi ce n'était pas bien compliqué de venir poser la question au "guide au chapeau" !

Y a t-il une représentation de la dualité Apollon / Dionysos sur la façade ?

 

De part et d'autre de la façade, le spectateur peut facilement reconnaître les symboles de la musique. Quoi de plus normal pour la salle des fêtes d'une commune que l'on désigne parfois sous le nom "petite capitale de la chanson française".

Mais on pourrait tout aussi bien les lire comme une métaphore de la dualité Apollon / Dionysos !

Créée par Hermès, la lyre à sept cordes est l’attribut d’Apollon. Ce dernier va la donner à Orphée qui s’embarquant avec Jason et les Argonautes réussit à sauver ses compagnons en chantant et jouant. Il arrive notamment à endormir le serpent, gardien de la Toison d’Or, objet du périple.

Les partitions symbolisent l’ordre.

Cette rigueur, vient sur le panneau de droite, être contrebalancée symétriquement par la marotte à tête de fou. Celle-ci est reprise, comme dans un miroir, à gauche par un bâton se terminant par une pomme de pin.

Mais quelle peut être la signification d'un tel bâton ?

 

La pomme de pin est un symbole très ancien (perfection, règle du nombre d'or...) et de nombreuses civilisations ou religions se la sont attribuées (la chevelure du Bouddha / au Vatican, la monumentale pomme de pin de 4 mètres de haut…). Mais pour en revenir à nos dieux Grecs, là encore sans l’ombre d’un doute, ce sceptre était celui de Dionysos. Théoriquement en bois de cornouiller orné de lierres ou de vigne et surmonté d’une pomme de pin. Son nom, le Thyrse.

Lors de mes recherches, et je le mentionne sans pour autant affirmer que c'était l'obédience de Louis Mollet, certains y voient un symbole franc-maçon !

 

Ci-contre un exemple similaire, associant serpent et pomme de pin, comme cette décoration de Whitehall à New York. 

Lors des Bacchanales (fête en l'honneur de Dionysos / Bacchus), mais aussi dans le théâtre Grec, les musiciens utilisaient le tambourin (tympanon), jouaient de la flûte de pan (syrinx) et de l’aulos (les 2 flûtes jouées simultanément).

Tous ces instruments sont représentés dans les frises sur l'avant-corps de la salle des fêtes.

William Bougereau - La jeunesse de Bacchus (1884)
William Bougereau - La jeunesse de Bacchus (1884)

Mais le message de ces deux frises pourraient se résumer à ce qu’a écrit et publié en 1872 Frederich Nietzsche dans La Naissance de la Tragédie : « (l’art est) un magicien qui sauve et qui guérit, lui seul est à même de plier ce dégoût pour l’horreur et l’absurdité de l’existence à se transformer en représentations capables de rendre la vie possible ».  

 

Dans ce premier livre, le philosophe allemand voit Apollon, dieu de sculpture, et Dionysos, dieu de la musique, côté à côté, en conflit ouvert mais dans le but de créer le meilleur art possible. Cela dans le but de maîtriser nos « explosifs internes », de contraindre le chaos à devenir forme.

 

Si ce n'était pas l'intention de l'architecte et bien, au moins maintenant poussé par la curiosité, vous avez lu un peu de philosophie et êtes allés aux sources des arts de la civilisation occidentale.

 

Recherche, rédaction - M. Calis Maxime - Guide-conférencier Office de Tourisme de Seclin & Environs - 12 Juillet 2017