Une bien curieuse Adoration des Mages dans la Collégiale de Seclin

En ce début d’année et comme l’heure est au partage de la galette des rois au jour de l’Epiphanie, il m’est revenu que l’on peut admirer, dans le transept nord de la Collégiale, ce tableau de « l’Adoration des Mages ».

Il est avec « Le martyre de Saint Piat » (A.L Denoyille – 1806) et « Descente de croix » (17e siècle), l’un des trois tableaux présents dans le cœur visitable de l’édifice. Ce tableau a été classé au titre des objets le 21 Janvier 1974.

 

Cette huile sur toile de 3 x 1.10 mètres est associée à l’école flamande du XVIIe siècle qui a traité « à la manière » de Rubens ce thème que nous croyons de toute éternité inscrit dans le culte chrétien. Comme pour pas mal de scènes bibliques, il a fallu du temps pour qu’un schéma connu aujourd’hui ne soit totalement acté et fixé.

Les rois Mages aux origines

 

En ouvrant le Nouveau Testament et en feuilletant les Evangiles, seul Matthieu fait mention de cet épisode. Il mentionne que guidés par une étoile, "ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l'or, de l'encens et de la myrrhe." Ce texte est assez vague, le pronom « ils » ne précise ni leur nombre, ni leur origine et encore moins leurs noms. Il faudra attendre le VIe siècle pour qu’apparaissent les noms de Balthazar, Melchior et Gaspard ; puis le Xe siècle pour que chacun soit vu comme un représentant des terres connus jusque-là (l’Europe, l’Orient et l’Afrique) et ayant chacun un âge de la vie terrestre (jeune, adulte, vieillard). Leurs présents revêtaient aussi une valeur symbolique : la myrrhe (un baume oriental que l’on utilisait pour les embaumements) a un lien avec la médecine, l’encens relève de la dimension spirituelle et enfin l’or se réfère à la royauté.  

RUBENS - Adoration des Mages - 1634 - Cambridge
RUBENS - Adoration des Mages - 1634 - Cambridge

Les rois Mages de Seclin, une inspiration venant de Rubens ?

 

Les variations de ce thème sont innombrables, mais il est un peintre qui travailla encore et encore ce sujet : Pieter Paul RUBENS (1577-1640). A titre d’exemple, que ce soit au Musée du Prado (Madrid), dans les galeries du Louvre (Paris) ou dans la chapelle du King’s College à Cambridge, vous trouverez une œuvre de Rubens traitant de l’Adoration des Mages. La plus grandiloquente est celle exposée à Madrid, la moitié du tableau étant une démonstration de force du talent de Rubens.

 

Il faut ici démentir ce que mentionne un article de la Voix du Nord du 7 Juillet 1975. Celui-ci indique que le tableau de Seclin serait une copie inversée de l’oeuvre exposée en Angleterre2. Si effectivement, il s’agit bien de la même scène mais mise en miroir, les deux tableaux sont différents en bien des points et c’est dans l’œuvre aujourd’hui exposée à Paris qu’il faudrait d’abord trouver l’inspiration principale du copiste, bien que ce dernier ait pris également beaucoup de liberté avec l’œuvre de Rubens.

Notre « Adoration des Mages » est un thème récurrent de l’école dite flamande. Quelques clics sur un moteur de recherche et ce sont des dizaines de toiles (3 exemples ci-dessous), de toutes formes qui apparaissent. La « Sainte Famille » est soit seule en compagnie des rois mages, ou bien ceux-ci sont accompagnés de cavaliers et autres hommes en armes. Tantôt le décor est champêtre, tantôt nous sommes en intérieur. Parfois une étable ou les ruines d’un palais. Les variations sont multiples, mais ce qui fait toute l’originalité du tableau de Seclin réside dans le jeu des personnages. 

Des protagonistes bien curieux !

 

Au premier regard, sa composition est assez traditionnelle. A gauche, Joseph, Marie et l’Enfant Jésus sont installés dans leur étable comme en témoigne la paillasse faisant office de siège. Par une ouverture au fond, un groupe d’hommes en armes assiste à la remise des cadeaux de la part d’un Balthazar debout (portant un ciboire contenant la myrrhe) et de Melchior et Gaspard agenouillés au-devant de Jésus et Marie.

A leurs pieds, un petit coffre présente des pièces d’or, tandis que le brûle-parfum est agité curieusement par Melchior, contrairement à la tradition qui prête cet acte à Gaspard. Si Balthazar est bien le personnage noir et jeune, on semble plutôt reconnaître Gaspard (en théorie il symbolise l’âge adulte) dans le personnage aux pieds même de Marie, et désigner donc Melchior dans le second, ses traits et sa barbe blanche le faisant apparaître plus âgé. Gaspard lui-même adopte une attitude ambigüe car au lieu de présenter l’or, il a le regard fixé sur les pièces comme si il les comptait. On aurait alors tendance à voir en lui un avare ! Faut-il y voir un message subtil aux commanditaires, les chanoines de la Collégiale ?

En complément de cette inversion des cadeaux, la toile seclinoise étonne aussi et surtout car contrairement à toutes les autres figurations, Marie fixe ici distinctement le spectateur. La tradition picturale la présente toujours attentive à la réaction de Jésus et aux personnages agenouillés face à elle. Ici, bien que la scène soit presque immuable, il y a ce détail, ce choix délibéré de donner à Marie un rôle différent qui est en plus relevé par la facture plutôt sévère des traits du visage, bien loin des canons esthétiques la figurant jeune et frêle, mais bien dans la tradition plastique de la femme chez Rubens.

Elle semble se poser des questions sur la scène et l’attitude des protagonistes : un Gaspard qui compte ses sous et un Melchior qui entretient un jeu de regards complices avec son enfant. Le vieil homme qui agite son encensoir semble beaucoup amuser l'enfant Jésus.

Pour rajouter encore à l’incongruité de la scène, derrière le dos de Melchior deux enfants discutent et semblent arriver là par hasard. Serait-ce une fantaisie de l’artiste de Seclin ?

Notre Adoration des Mages est-elle la copie d'un Rubens aujourd'hui à Malines ?

 

Il semblerait plutôt que notre peintre ait travaillé à partir d’une autre œuvre de Rubens, voire même de l’une de ses copies.

L’original est toujours exposé en l’église Saint Jean à Malines (Belgique)3. Le site de vente de Drouot conserve lui la copie de la partie centrale du triptyque. On tiendrait donc là, le véritable point de départ à l’inspiration du peintre pour Seclin.

Dans l’œuvre originelle, comme dans la copie, la scène est quasiment similaire. Dans la copie pourtant le décor y est différent on est plus dans un palais que dans une étable, mais chose notable on retrouve dans les deux tableaux, derrière le dos de Gaspard, les deux enfants. Dans le Rubens de Malines et la copie, la Vierge Marie est jeune, l’enfant Jésus est intrigué par le contenu de la coupe et focalise les regards de tous les autres qui, dans un mouvement de perspective semblent s’appuyer les uns sur les autres. Tous regardent la scène sauf un, un enfant de sexe masculin qui regarde le spectateur.

Le tableau de « L’adoration des Mages » exposé en l’église Collégiale de Seclin est ainsi un exemple assez singulier dans la riche histoire picturale de ce thème. 

 

Maxime CALIS – Guide-Conférencier – Office de Tourisme de Seclin & Environs – publié en Janvier 2016

Notes :

 

1.        Le tableau actuel a fait l’objet d’une restauration en 1968 par M. Jean Baptiste Mulier, artiste peintre seclinois. D’après son fils, Jean Francis les trois tableaux ont été restaurés quasiment à la même période, ils étaient très sombres. Les conditions thermiques des lieux n’étant pas les meilleures à la conservation optimale de toiles ; de plus, il faut noter que la Collégiale fut longtemps ouverte à tous les vents lors du programme de reconstruction de l’église suite au dynamitage d’Octobre 1918.

2.        Information prise dans le fascicule « A la découverte des trésors de la Collégiale Saint Piat » de M. Jean Paul THOREZ, publié en 2004 au profit de l’association de la Sauvegarde de la Collégiale Saint Piat.

3.        Les portraits des rois Mages sont repris dans trois toiles, « le roi Grec », le « Roi Assyrien » et le « Roi Mage ». Ils ont été peints en 1618 par Rubens pour le compte de son ami, Balthasar I Moretus (1574-1641), propriétaire de l’imprimerie Plantin. Dispersés depuis leur vente à Drouot en 1881, ils furent réunis exceptionnellement pendant trois mois en 2015 à la National Gallery of Art de Washington (Etats-Unis).

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Commentaires: 3
  • #1

    LESCAUX (vendredi, 22 janvier 2016 18:25)

    Merci pour ce bel article que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt.
    Félicitations

  • #2

    Seclin Tourisme (mardi, 26 janvier 2016 09:35)

    Merci pour votre appréciation, c'est avec plaisir ;) Bonne journée à vous

  • #3

    Renaud DE BACKER (dimanche, 24 février 2019 17:40)

    J'ai visité hier l'église St Jean à Malines (petite ville trop méconnue dont il faut conseiller la visite notamment en raison d'un exceptionnel patrimoine religieux) et admiré l'autel dans lequel est intégré "L'adoration des mages" de Rubens. Je ne manquerai pas de le comparer à sa copie de Seclin dont j'ignorais l'existence.